Apprendre les langues bretonnes en 2020 : quelles motivations ?

Apprendre les langues bretonnes en 2020 : quelles motivations ?

Analyse critique des incitations à l’apprentissage des langues bretonnes

Le véritable problème que doit affronter la langue bretonne aujourd’hui se situe ailleurs que dans sa capacité de renouvellement de l’intérieur, que lui reconnaissent de plus en plus les linguistes. Son avenir est tributaire à la fois du nombre de locuteurs et de l’usage qui sera fait de la langue elle-même.

Hervé Abalain

Comment se fait-il qu’un individu, à un moment donné de sa vie – et dans un contexte particulier –, se mette à apprendre une langue que ses parents ne lui ont pas transmise ? Est-ce que cette langue, par l’usage qui en est fait, peut permettre de nouer de nouvelles relations sociales ? Est-ce que devenir bretonnant aboutit à une (re)formulation de l’identité de soi ?

Hugues Pentecouteau

Introduction

2020, Bretagne. Un groupe s’est fixé comme objectif de susciter pacifiquement dans la population bretonne un vaste mouvement d’engouement pour ses langues, le breton et le gallo, et d’y répandre l’envie irrépressible de les connaître et surtout de les apprendre.

Objectif utopique, dira-t-on, tant ces langues paraissent proches aujourd’hui du seuil fatidique de pratique en deçà duquel elles entrent dans la zone rouge des « langues minoritaires en danger ».

Pourquoi un tel dessein ? S’il ne fallait trouver qu’une raison, ce serait : « par esprit de justice ». Mais l’enjeu n’est pas seulement une question de justice, nous y reviendrons.

Pourquoi maintenant ? Parce qu’il y a urgence, nous le verrons, et parce que les possibilités d’agir avec efficacité semblent favorables.

Le texte qui est présenté ici est en quelque sorte un manifeste pour un projet (décrit en deuxième partie) qui prône un mouvement massif de réappropriation de la1 langue et propose des axes d’action pour le faire réussir. Mais auparavant, il est nécessaire de porter un diagnostic sur l’état de la langue et de la société bretonnes, afin d’en déduire les meilleurs leviers d’intervention potentiels.

1 La question de la langue en Bretagne

Pour un immigré, il est habituel et légitime de s’intéresser à son nouveau lieu de vie, choisi ou non. La Bretagne est une « petite patrie » (Grenouilleau, 2019) attirante et attachante, et l’on porte assez vite le regard sur ses spécificités parmi lesquelles la présence et la coexistence de deux langues historiques, une langue celtique – le breton – et une langue romane – le gallo. Il est vrai, comme l’indique Pierre Corbel (1983, p. 109) que bien que l’une et l’autre ont fait l’objet « d’une semblable politique de destruction, langues bretonne et gallèse n’ont ni reçu le même statut, ni nourri les mêmes mythes, provoqué les mêmes gestes culturels, alimenté des stéréotypes identiques ».

Mais on comprend rapidement que malgré cette particularité bretonne, le vrai problème autour de la question linguistique en Bretagne, comme dans beaucoup d’autres régions de France, a pour origine l’État français.

1.1 La politique de l’État français vis à vis des langues régionales

Il est des États qui considèrent comme une richesse la diversité linguistique de leurs peuples. Il en est d’autres, dont l’État français, qui ne cessent de vouloir la réduire à une mono-langue officielle et imposée (à savoir, le francien, « ce patois qui a réussi »), au nom de l’efficacité économique ou de la simplification dans la communication officielle, allant jusqu’à encore invoquer, au 21ème siècle, l’unité de la République.

Les historiens nous rappellent que la relation entre les peuples ayant habité la Bretagne et leurs langues n’a jamais été simple : de l’originelle légende des langues arrachées aux femmes par les envahisseurs venant de l’île de Bretagne (Cassard, 1983), à la trichotomie contemporaine (breton et gallo sous l’hégémonie du français), en passant par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, la Révolution française et l’exhortation de Grégoire à « extirper cette diversité d’idiomes grossiers », les lois scolaires de la 3ème République, les brassages linguistiques des dernières guerres mondiales. Une histoire faite de rendez-vous manqués, d’opportunités non saisies, de bonnes intentions ou d’abus de pouvoir, sur un fond de clivage quasi permanent entre les élites et le peuple.

Non seulement tout est fait ou presque pour que les langues minoritaires ne soient pas enseignées, même en tant que langues vivantes, mais de surcroît l’enseignement de leur environnement culturel et historique est pratiquement inexistant.

Un florilège de citations rassemblées sur un site dédié à la langue bretonne rappelle que « les langues ne meurent pas toutes seules… »2. Certes, il serait simpliste de prétendre que c’est l’Etat français, ou sa représentation, qui est la cause unique des coups portés aux langues minoritaires. Mais c’est le caractère brutal des interventions de l’État que nous avons voulu retenir, car il est plus marqué en Bretagne que dans d’autres régions de France.

Dans cette activité unificatrice concernant la langue, l’État s’est essentiellement servi, à partir des lois de la 3ème République, de relais institutionnels comme l’École et ses fameux « hussards noirs de la République », comme n’a pas manqué de le relever J.-M. Le Clézio : « je regrette beaucoup la disparition de la langue bretonne, telle qu’elle a été organisée sciemment par l’Éducation nationale ». Leur cible : l’être en apprentissage, l’écolier qui, après avoir quitté le matin son milieu familial, est pris en charge par la société… Alors que les enfants d’Île-de-France bénéficiaient d’une continuité linguistique entre l’école et la maison, les petits bretons passaient, jour après jour, d’un univers à l’autre, de celui de leur famille, de l’affection, de la sécurité, à celui de la classe avec son parler incompréhensible et de la cour de récréation, lieu de la hantise de se faire prendre à utiliser sa propre langue (Prémel 1995) :

La dynamique de cette pédagogie était la délation ; délation banalisée, fonctionnalisée, puisqu’elle avait pour but, non de dénoncer un méfait ou un comportement hors-norme, mais le comportement le plus normal (l’usage de la langue maternelle) pour pouvoir se débarrasser – ou se préserver – du stigmate et de la pénalité, donc échapper à la contrainte et à la honte.

Non seulement l’école de la République n’enseignait pas la langue maternelle des enfants qu’elle accueillait, mais elle la combattait par les méthodes les plus viles…

1.2 Les marques durables de cette politique en Bretagne

Au-delà d’une « simple » substitution d’une langue par une autre, la politique monolingue française a eu des effets profonds et durables sur la société bretonne.

1.2.1 L’arrêt de la transmission de la langue

L’obligation imposée du français dans l’enseignement a induit en quelques années le blocage de sa transmission par la voie maternelle. Toute la population bretonne, à l’exception des élites urbaines, souvent acculturées à la langue française (Blanchard 2018), s’est trouvée impactée par cette violence venant de l’institution. Dans ce processus à double détente, la contrainte sur l’enseigné, futur parent, s’est traduite par une impossibilité des jeunes parents à transmettre leur langue de naissance. L’absence de transmission par l’enseignement a entraîné mécaniquement un arrêt de la transmission par la voie maternelle.

Le procédé révolte (Carrer 2007, p. 32) : « Quel terme donc employer pour caractériser cette mauvaise action, cette politique néfaste dictée par une idéologie totalitaire mal éteinte ? » et ce même auteur s’étonne presque que la langue ait survécu jusqu’à nos jours : « La survie de la langue celtique ancestrale qui comptait alors plus d’un million de locuteurs quotidiens pour quelques dizaines de milliers aujourd’hui (…) demeure problématique. »

Les chiffres sont bien là : le nombre de locuteurs a brusquement chuté et continue de décliner avec la disparition des anciens locuteurs. La langue en a perdu 80 % en un siècle. Rapporté à la population bretonne, ses actuels 207000 locuteurs ne représentent que 5%, une misère par rapport à ce qu’ils étaient avant la Première Guerre mondiale3.

Une telle rudesse dans la répression, une telle constance dans l’acharnement ne pouvaient pas ne pas laisser durablement des traces profondes dans la société.

1.2.2 Les dégâts de l’acculturation

La langue est bien plus qu’un instrument privilégié de communication, et lui porter atteinte entraîne de multiples conséquences néfastes à l’intérieur du corps social. En effet (Pentecouteau, 2002, § 38) :

La langue est un élément social qui contribue à l’élaboration d’un monde de référence. La langue est aussi historique, elle fait partie de l’histoire d’un groupe social, d’une société et des individus qui la composent. Que les Bretons d’aujourd’hui l’aient entendue parlée ou non par leurs parents ou leurs grands-parents, il existe une familiarité et une proximité par rapport à l’usage de la langue, car les Bretons de la nouvelle génération savent qu’à un moment donné dans l’histoire de leur famille, cette langue était une langue qui permettait de s’exprimer dans toutes les activités de la vie courante.

Or, du fait de la contrainte qu’il a subie, l’individu n’a plus la possibilité de s’exprimer dans un registre expressif qu’il maîtrise, que ce soit dans la langue qu’il ne peut plus parler ou dans celle qui lui a été imposée. Cette perte d’expressivité de la langue est notée par Kress (1986, p. 54) qui voit, pour la génération actuelle, des difficultés d’expression touchant les domaines de l’affectivité, des relations inter-humaines et de la sensibilité individuelle. Il les analyse ainsi:

La restriction de l’usage de la langue dans le domaine affectif s’est opérée au moment où la génération bilingue est intervenue dans le processus de transmission. Cette génération, constituée psychiquement dans la langue bretonne, laquelle possède des registres d’expression fort différenciés, n’a jamais assimilé qu’un français scolaire, instrumental, lié à l’écriture, donnant ouverture sur une culture étrangère mais coupé de la profondeur constituante de l’inconscient qu’a la langue maternelle. Cette seconde langue instrumentale est transmise à la troisième génération, il en résulte cet aplatissement de l’expression qu’on constate actuellement. Perdre la langue n’est donc pas du même ordre que la perte d’un objet, non seulement parce que son mode d’investissement est plus problématique que celui d’un objet, mais encore parce que la perte est proprement esquivée, sans localisation individuelle. Cette situation est apparentée à celle du deuil impossible dont on connaît les effets en psychopathologie.

Pour ce même auteur, les effets de cette acculturation ne sont pas visibles au niveau individuel car celle-ci porte sur plusieurs générations (Kress 1984, p. 1371) :

La mutation s’étend d’ordinaire sur trois générations selon le modèle suivant : les grands parents parlent exclusivement la langue régionale, les parents sont bilingues par scolarisation en français, les enfants sont unilingues dans la langue nationale. La perte de la langue d’origine s’est donc bel et bien produite mais aucun des individus de la lignée ne semble en avoir subi de dommage, et nous ne pouvons pas analyser les effets de cette perte chez un sujet bien déterminé.

Dans de nombreux cas cependant, l’effet délétère de l’acculturation forcée est bien perceptible. Philippe Carrer (2007, p.26), ethnopsychiatre, décrit des cas pathologiques qu’il a eu à traiter et qu’il impute à cette injonction :

La disproportion des forces peut être grande ou même écrasante, l’écart culturel considérable, parfois infranchissable, la culture dominée entravée, voire interdite. L’acculturation est alors pathogène, ce qui veut dire que l’on verra se développer, dans la population soumise, une pathologie sociale dont le versant psychiatrique se situera du côté de l’alcoolisme, des toxicomanies, du suicide et le versant social du côté de la délinquance et de la violence. (…) Comment ne pas relier les pathologies du premier type gravement et significativement présentes en Bretagne aux conditions historiques de l’acculturation subie ? Si cette acculturation fut, en partie, acceptée et même parfois souhaitée, pour une plus large part elle fut brutalement imposée et elle continue à l’être insidieusement mais toujours implacablement.

Cet enjeu de santé publique est également signalé, à propos d’une autre langue (l’occitan) par Pierre Boquel (2011, p. 20), qui s’étonne au passage de l’absence d’études sur ce sujet important :

L’imposition d’une langue souveraine et l’éradication « des patois » a été un véritable traumatisme pour les collectivités régionales car la langue maternelle est constitutive de l’identité de ces populations. Les effets traumatiques sur la santé des sujets n’ont curieusement jamais été étudiés jusqu’à aujourd’hui, seules existent quelques données empiriques constatées chez des personnes appartenant à ces collectivités. Pourtant la prévalence de la morbidité psychiatrique, le matériel clinique recueilli en psychanalyse et en psychothérapie, la souffrance présente dans les témoignages, la persistance de la honte de sa propre langue ainsi que le refoulement de l’affect montrent clairement les conséquences encore présentes du traumatisme de l’exclusion radicale d’une langue première. On commence à peine à en évaluer les effets sur la transmission familiale.

D’un autre coté, il a été dit que dans de nombreuses familles bretonnes, on avait accepté sans trop de révolte l’irruption de la nouvelle langue. Un écrivain comme Le Clézio indique dans une interview à Ouest-France du 18 avril 2020 ne pas comprendre « qu’en si peu de temps, la langue avec son héritage culturel ait disparu » et accuse l’État « qui a multiplié les actions de destruction ». Mais il en attribue aussi la responsabilité « aux Bretons, qui ont refusé de la parler à leurs enfants afin de les prémunir contre la discrimination dont ils avaient été victimes », comme si ce refus avait été opéré en totale responsabilité et en connaissance de cause !

Comme le précise Pierre Bourdieu (1982, p. 36), ceci ne se fait jamais en toute liberté : « Toute domination symbolique suppose de la part de ceux qui la subissent une forme de complicité qui n’est ni soumission passive à une contrainte extérieure ni adhésion libre à des valeurs. » Et il ajoute : « Comme nombre d’expériences l’ont montré, les gens adhèrent d’autant plus fortement à une institution que les rites initiatiques qu’elle leur a imposés ont été plus sévères et plus douloureux ».

Finalement, en contrepoint du blocage de la transmission de la langue, s’est mise en place une autre forme de transmission, celle de la honte de sa langue première et du refoulement de l’expression de ses sentiments. La honte de la langue, inculquée à l’enfant dans la cour de l’école, s’est propagée au milieu familial tout entier et y est devenue une honte d’impuissance : impuissance à contrer le processus, impuissance à exprimer des sentiments et des arguments rationnels pour justifier une attitude de révolte, impuissance à répondre à un enseignement en français par l’oral et surtout par l’écrit à un enseignement de même nature en breton. Impuissance qui conduit à un état de sidération, sans doute impossible à déconstruire, qui se transmettra de génération en génération. Gérard Prémel (1995, p. 55) l’explique comme étant la conséquence d’une attitude de « démission culturelle », intégrée en tant que « semi-tabou » :

La non transmission de la langue maternelle ne se réduit pas à un acte de rétention, autrement dit de blocage d’une information -fût elle essentielle. C’est un processus complexe de transmission du blocage par rapport à cette langue. Le traumatisme du forçage culturel des enfants d’origine rurale dans les 40 premières années du siècle et l’inculcation corrélative de la honte a certes eu pour effet une rupture dans la transmission de la langue, mais à partir d’une posture de démission culturelle qui signifie l’abandon (relatif et / ou progressif) de tout un ordre mental. Cette démission, refoulée en tant que telle, masquée par les diverses modalités de l’ascension sociale des personnes coupées de leur langue, se traduit pour les générations suivantes par l’internalisation d’un semi-tabou. Il n’est plus nécessaire d’interdire la langue maternelle, il est simplement considéré comme socialement futile, peu utile, peu valorisant de l’apprendre.

Il s’agit bien de cela : les générations successives se transmettent en Bretagne le lourd et indicible secret de leur résignation à la mort de leur langue !

Analysée ainsi, cette situation ne peut que conduire à l’idée selon laquelle il est « peu valorisant » d’apprendre cette dernière, et l’on comprend que toute action de réhabilitation de la langue devra passer par une déconstruction, à grande échelle, des effets de ce tabou.

Il faut insister sur le cloisonnement entre générations qui s’est ainsi institué. Ces dernières sont devenues incapables non seulement de se comprendre, mais tout simplement d’échanger, tant l’empreinte du tabou sur la langue était forte.

Pour résumer :

– l’interdiction de la langue a eu un effet « mécanique », qui s’est traduit par l’interruption de la transmission par la voie maternelle et la chute de sa pratique en quelques générations

– l’acculturation a eu des effets traumatisants sur la santé, mais ceux-ci ont été peu étudiés

– les générations successives se transmettent le secret de leur résignation à la perte de leur langue, le tout dans un isolement intergénérationnel

– la langue est devenue dévalorisée, au point de rendre sans intérêt l’idée de vouloir l’apprendre

Ces éléments vont évidemment se traduire sur l’état actuel de la langue et permettre de mieux le comprendre, mais également d’envisager rationnellement de contrer sa déchéance.

2 L’état actuel des langues bretonnes

L’état de la langue4 peut se mesurer au travers d’indicateurs. Certains sont chiffrés : résultats d’enquêtes réalisées dans la population, effectifs inscrits en apprentissage, d’autres sont des projections à partir d’évolutions, rapportées à un laps de temps. D’autres encore sont plus qualitatifs, voire difficiles à évaluer, comme l’adhésion aux idées de groupes d’influence. Les mécanismes qui viennent d’être rappelés ayant produit et continuant de produire leurs effets délétères dans la société bretonne, certains indicateurs apparaissent comme préoccupants.

Des mouvements antagonistes vis à vis de la langue sont à l’œuvre, et nous essaierons de mesurer leur efficacité.

2.1 Des freins toujours présents

Le coup porté à la langue par les fameux hussards noirs a été rude, et il continue à se faire sentir du fait de la présence de ceux, nombreux, qui, sans la combattre, lui sont indifférents. Ces personnes reflètent par leur attitude l’emprise du tabou transmis : il n’y a plus pour elles aucun intérêt, ni à l’apprendre, ni même à en parler. On ne s’étonne donc pas de voir, présente dans la société bretonne d’aujourd’hui, une réelle indifférence à la langue historique, une vraie passivité – comme cette femme, pourtant élevée « en breton », qui martèle de façon incantatoire sa position : « c’est une page tournée, on n’y revient pas ».

Les locuteurs de naissance et les personnes les plus âgées affichent souvent une attitude de retrait devant leur langue, allant parfois jusqu’à renouveler l’interdit primitif en direction de leurs descendants5. Il est vrai que pour beaucoup par la non-maîtrise de la langue sous sa forme écrite, dans une société de la lecture et de l’écrit, renvoie très vite à la honte de l’analphabétisme.

Dans d’autres cas, notamment dans le « creux générationnel », ce retrait laisse la place à des oppositions explicites et affichées, s’appuyant sur des affirmations de prétendu « constat d’évidence », sur des déclarations non fondées, péremptoires et péjoratives en direction de ceux qui sont accusés « de croire encore en un combat d’arrière garde »6.

Les mesures de soutien à la langue sont critiquées, au prétexte que leur coût économique serait élevé ou qu’elles refléteraient des politiques inégalitaires ; les tentatives de revigoration sont combattues : l’apprentissage par immersion pratiqué dans les écoles Diwan est critiqué par certains auteurs comme Josette Gueguen et Françoise Morvan, l’existence de filières bilingues est également questionnée.

Certaines structures officielles s’affichent comme résolument antagonistes, prétextant que les langues minoritaires continueraient à représenter un danger pour l’unité de la République et feraient le lit d’un communautarisme à combattre. Ce sont les déclarations ou prises de position de groupes politiques7, jouant souvent sur des ressentis totalement étrangers à la Bretagne, et tentant de porter le discrédit sur les langues minoritaires devant l’opinion publique française…

L’attitude d’administrations ou d’entreprises nationales témoigne souvent du peu de cas qui est fait des demandes de respect minimal de la langue : la SNCF, la Poste et de façon générale les grands organismes nationaux renforcent l’hégémonie de la langue majoritaire. Des initiatives malheureuses récentes8 concernant les noms de rues montrent le peu de considération qui peut être porté aux appellations anciennes.

Dans le domaine de l’enseignement, l’Éducation nationale, – souvent par la voix de son ministre -, semble n’avoir pas évolué en quoi que ce soit depuis les lois Jules Ferry.

Cependant, la langue peut aussi compter sur des soutiens nombreux et affichés.

2.2 Une langue loin d’être délaissée, et qui compte beaucoup de défenseurs

Nelly Blanchard, (2018, op. cit.) indique que par « effet de miroir inversé à la diminution de la pratique sociale du breton, des revendications en faveur du breton se sont exprimées depuis le premier tiers du XIXe siècle, puis de manière plus intense au XXe siècle et avec le soutien des pouvoirs publics au XXIe siècle ». Elle classe ces revendications selon les aspects « transmission, légitimité et visibilité », qui peuvent être également utilisés pour le gallo.

De fait, la langue affiche une vitalité certaine qui témoigne que l’acculturation imposée n’est pas allée jusqu’au bout. Ses défenseurs les plus actifs sont souvent des néo-locuteurs, qui interviennent dans le cadre de structures informelles de discussions, de débats, de joutes oratoires, de veillées collectives. La langue se parle -encore- en privé, en famille ou entre proches, ou dans des lieux publics de convivialité (marché, café, EHPAD, voisins, salles de spectacles). Quelques difficultés de compréhension interdialectale9 cèdent rapidement devant le plaisir de ré-entendre les accents, et on aime retrouver ce qui faisait le sel de la vie : « rire, chanter, parler pour accompagner les travaux, raconter les histoires pendant des nuits entières, adoucir les peines avec les mots [car] ça c’est resté avec le breton » (Nicole et Félix Le Garrec, 1976). Il faut souligner également qu’un mouvement de réhabilitation mémorielle chemine dans l’esprit de beaucoup de locuteurs âgés, comme si le reuz fait par les structures actives en faveur de la langue leur permettait de dépasser leurs sentiments négatifs et d’extérioriser plus volontiers leur ressenti profond10 :

Hier, la langue mourrait, la Bretagne se vidait. Notre passé, notre langue, nos coutumes, le droit de vivre où nous étions nés jusqu’à notre sol tout nous échappait ; aujourd’hui un mouvement de réappropriation s’amorce, une communauté fait entendre sa voix, une communauté réclame le droit de vivre.

Au delà des individus, on observe dans la société bretonne contemporaine la présence de structures préoccupées par le risque de disparition totale de la langue et affichant leur volonté de réagir à son déclin. Ces structures, organismes, associations, médias, personnalités publiques… tentent de peser positivement sur l’avenir de la langue et d’infléchir son évolution pour qu’elle ne disparaisse pas. Les plus visibles sont rappelés ici :

  • des offres d’enseignement variées, en immersion en breton ou en bilingue français-breton, portées totalement ou partiellement par le milieu associatif et par le corps enseignant, et destinées à toutes les tranches d’âge
  • une vie culturelle faisant une large place à l’expression en langue bretonne ou gallèse (chants, théâtre, éditions musicales et littéraires, collectage, étude des noms de lieux), relayée par des entraîneurs d’opinion populaires (chanteurs, comédiens, écrivains…)
  • un certain activisme politique et un soutien institutionnel indéniable (jusqu’au niveau régional) : interventions en breton et pour le breton à l’Assemblée Nationale, propositions de lois, déclaration du Conseil régional de Bretagne reconnaissant le breton et le gallo comme « langues de la Bretagne aux côtés du français », financements fléchés, adoption d’un « Schéma communautaire en faveur de la langue bretonne 2020-2022 » par Lannion Trégor Communauté…
  • des actions spectaculaires stigmatisant l’usage monolingue français dans l’espace public (comme celles de l’association Deus ‘Ta pour ne parler que des plus récentes) et des manifestations destinées à se montrer (Diwan) car « dans notre société médiatique, il faut attirer l’attention pour avoir quelque chance d’être reconnu (Rohou 2011) »
  • une visibilité dans la vie quotidienne (affichage chez certains commerçants, panneaux routiers, marketing en breton, cafés discussions…),
  • une part, toute relative, faite à la langue dans l’audiovisuel et la presse régionale grand public (quelques émissions en breton, quelques pages hebdomadaires en breton) mais plus importante voire exclusive dans la presse spécialisée (breizhoweb, Ya!, RKB et autres) avec une présence sur les réseaux sociaux
  • l’existence de grandes causes bretonnes mobilisatrices : Bretagne 5/5, Charte Ya d’ar Brezhoneg, Redadeg, les Prizioù…
  • la présence d’un office public dédié à la langue, l’OPLB, et d’instances prestigieuses (Institut et Conseil culturel de Bretagne), souvent adossées au Conseil régional; un suivi terminologique quasi académique de la langue
  • un monde associatif abondant et actif (centres culturels bretons, cercles, bagadoù), souvent organisé en fédérations

Ces diverses structures agissent globalement pour la langue, mais, il faut aussi le dire, parfois de façon désordonnée : toutes ne « rament » pas dans le même sens ! Sans nous attarder sur les relations linguistiques entre bretonnants et gallésants, décrites en détail par Anne Diaz (2018), notons qu’ici, la langue sera un prétexte pour porter des revendications autres que son objet ; là, l’analyse des moyens à mettre en œuvre pour la soutenir diverge sur ce qu’il convient d’en conserver : sa ou ses forme(s) écrite(s), ses « dialectes » ; ailleurs, on critique le breton « chimique », celui des néo-apprenants, par rapport à un breton « pur » et idéalisé…  : toutes ces chicaneries autour de langues moribondes, dispersent l’énergie de leurs supporters en d’incessantes controverses11… « Entre ces divers courants s’est réalisée une alliance conjoncturelle autour de la revendication linguistique (…) Mais il est difficile pour autant de parler de front uni » (Le Dû et Le Berre, 1999). Sauf lorsque une attaque peu subtile se manifeste, immédiatement dénoncée, qui a pour effet de resserrer les rangs des défenseurs de la langue : à cet égard, l’affaire du « tilde sur le n du prénom Fañch »  est emblématique… De manière générale, un certain agit prop est entretenu autour de la langue par ses défenseurs comme par ses détracteurs, ce qui fait parler d’elle, la met en lumière et la maintient en tant que question de société.

Mais une question se pose : le refoulement identitaire qu’ont perçu les psychologues et décrit les sociologues bretons, ainsi que de nombreux écrivains et auteurs et qui se matérialise, en dehors de ses formes cliniques, dans une certaine passivité du corps social par rapport à la langue, a-t-il été combattu et a-t-il fait l’objet de contre-mesures de grande échelle dans la population, de la part des organisations et des institutions ? A-t-on vraiment cherché à rompre la transmission de l’interdit et de ses effets délétères ? En dehors de prescriptions médicales pour des cas individuels sévères, il semble que le tabou joue encore et empêche la société dans son ensemble d’évacuer l’omerta sur sa langue.

Il est même tentant d’imaginer une interprétation de certains traits transverses à la société bretonne comme un exutoire à ce refoulement identitaire, exutoire qui aurait alimenté le Mouvement breton dans ses créations, son originalité, son avant-gardisme : culture, vie économique, société, langue… Langue ? Oui, langue objet d’étude, langue normalisée, langue de la littérature, langue savante, accaparée par les intellectuels. Mais aussi langue sacrifiée, langue perdue pour le peuple à qui personne n’a expliqué comment il s’était fait déposséder. On va essayer de faire société autour d’une langue-icône, celle de nos production littéraires – nombreuses-, celle de notre culture folklorisée, celle de nos institutions qui excellent dans la traduction en breton des seuls titres de leur publications. Mais cette langue fantôme qui nous hante tous, en dehors d’une mince frange de la population que l’on retrouve dans les chiffres qui viennent d’être rappelés, combien se sont levés pour la reconnaître et l’accueillir, combien sont prêts à se lever pour la retrouver ?

Il existe tous les ans des campagnes de communication pour informer la population des nombreuses possibilités pour apprendre le breton. Mais aucune de ces campagnes ne décrit le processus d’éradication ayant conduit à une telle faiblesse de la langue… On présente une offre, sans expliquer les fondamentaux, comme si on estimait que la population n’avait pas besoin de les connaître pour choisir de s’engager dans son apprentissage.

La langue n’a pas disparu… Il faut cependant aller plus loin dans l’examen des chiffres, et notamment celui du nombre de locuteurs et celui du nombre de personnes en situation d’apprentissage.

2.3 Locuteurs et apprenants : des chiffres très bas, mais des signaux positifs

2.3.1 Les chiffres

Nous allons nous référer à deux catégories de chiffres du dernier sondage TMO Régions (Wakeford et Broudic, 2018). Les premiers expriment des valeurs absolues ou des ratios par rapport à la population de la Bretagne. Les deuxièmes cernent des « sentiments », des attitudes par rapport aux langues.

2.3.2 Analyse par tranche d’âge

Les 207000 locuteurs actuels ne représentent que 5% de la population bretonne. Quant au nombre de personnes en situation de formation au breton, on compte un total de 17024 élèves en 2016-2017 sur 420000 élèves scolarisés en Bretagne (environ 4%) et d’environ 5000 adultes.

Ces chiffres indiquent que « du strict point de vue démographique, la langue bretonne est dans une situation extrêmement préoccupante pour les deux décennies à venir, avec une disparition prévisible de la grande majorité des locuteurs actuels »12

L’UNESCO la classe même dans la liste des langues « sérieusement en danger » (Moseley, Christopher, 2010).

Pour les plus âgés, le décompte reflète une situation préoccupante : 80 % ont plus de 60 ans. La pyramide des âges est éloquente et annonce la continuation de la diminution du nombre de locuteurs dans les années à venir, du fait de leur âge.

Qui plus est, ces locuteurs âgés, lorsqu’ils disparaissent, emportent avec eux la diversité de leurs accents linguistiques. Et c’est tout un patrimoine culturel qui disparaît avec l’extinction, de plus en plus assourdissante, de ces « intonations rudes et grossières, accentuations fausses, prononciations vicieuses, chanter faux, mélopée étrange, récitatif bizarrement rythmé, lectures inarticulées, hésitantes, non ponctuées, etc. » (Prémel 1995, op. cit.) que les maîtres avaient été chargés, par les inspecteurs d’académie, d’éliminer. La langue se perd aussi par la perte de ses accents comme le dit Jean-Claude Ruyet (2012, p. 84) : « Cette quasi-absence d’environnement sonore du breton du fait de la rareté grandissante des locuteurs âgés accorde à l’écrit une importance démesurée par rapport à l’oral. Nous devons en tenir compte et penser à utiliser l’effet Buben dans le bon sens plutôt que le laisser entraîner les nouveaux locuteurs à adopter les modes opératoires du français. ».

Pour les scolaires, répartis dans les trois filières bilingues13, et malgré de réelles avancées sur les dernières décennies, il semble peu réaliste de s’attendre à une augmentation forte et rapidement mise en place des capacités d’accueil dans les communes de résidence des parents, même si la demande parentale s’accroît.

Quant aux adultes (20-50 ans), ils se retrouvent dans le “creux générationnel” décrit par l’Office Public de la Langue Bretonne14 qui compte particulièrement peu de locuteurs et d’apprenants dans la tranche d’âge… Là non plus, le nombre d’inscriptions aux cours du soir ou aux stages intensifs n’est pas non plus susceptible de croître spontanément dans de fortes proportions.

Ces chiffres très bas s’expliquent par l’efficacité redoutable des mécanismes de répression décrits plus haut. Ils pourraient cependant être totalement catastrophiques si les mouvements de réhabilitation n’avaient évité le pire.

On voit donc que la langue est pénalisée par son nombre de locuteurs, par la perte de sa diversité dialectale, par son faible taux d’apprenants et par l’absence d’actions de grande ampleur visant à la réhabiliter. Est-elle pour autant inexorablement condamnée à devenir une langue morte ? Y a-t-il moyen de modifier le cours des choses ? Peut-on imaginer que le temps de la correction post-traumatique collective est arrivé ?

2.3.3 Des signaux positifs

Peut-être ce temps est-il porté en germe par certains aspects de l’opinion publique bretonne capturés dans les résultats de l’enquête TMO Régions 2018, et qui montrent l’existence d’un intérêt réel et même croissant dans la population, bretonnante comme non bretonnante. En effet, plus de 40% des Bretons (Basse et Haute Bretagne réunies) souhaitent (ou auraient souhaité) pour eux-mêmes ou pour leurs enfants connaître et parler leur langue historique. Pour la seule Basse-Bretagne, et concernant la langue bretonne, ces chiffres sont bien plus élevés. Des marqueurs supplémentaires comme l’ « attachement à la langue » et l’« adhésion à plus de langue » confirment la cote élevée de la langue dans la population en général.

Une enquête (Alle, L., 2020) lancée en mars 2020 auprès des étudiants bretons par le biais de groupes Facebook et fondée sur le volontariat des réponses, confirme et au-delà de l’enquête générale TMO Régions cette cote de popularité dans la population étudiante des 15-24 ans : 79,5% voudraient apprendre une des deux langues, et 76,9% veulent transmettre le breton ou le gallo à leurs enfants. Des commentaires spontanés sont également parlants, tels :

Ma grand mère parlait breton mais je n’ai pu la connaître, et j’aimerais apprendre les langues parlées autour de de moi.

Le gallo est la langue d’une large partie de ma famille, aujourd’hui vu comme une honte alors que nous l’avons parlé pendant des siècles. Je veux pouvoir le parler pour conserver la richesse de notre patrimoine, pour donner raison à l’accent qui m’a valu des railleries.

Ces extraits de l’enquête résonnent comme un écho d’un témoignage déjà ancien (Le Garrec, 1976, op. cit.)  :

Penses-tu apprendre le breton à tes enfants ? Ça c’est sûr ça c’est sûr ! puis je pense bien que d’ici là les choses se seront améliorées, par l’action de tous enfin de tout ce qui milite pour la langue bretonne et pour le reste quoi.

Si les sentiments en faveur de la langue sont à un niveau élevé dans la population, c’est qu’un travail sur la mémoire a déjà commencé, de façon exogène, fruit de l’activité des groupes de pression mentionnés plus haut15, ou même endogène, personnelle, comme si le refoulement et ses effets amnésiques étaient arrivés à leur terme et n’étaient plus opérants. La désinhibition est sans doute favorisée également par la compréhension scientifique et le constat des effets bénéfiques du plurilinguisme, en progression dans nombre de pays voisins de la France, reléguant cette dernière au stade de figure d’exception, stupidement accrochée à un passé révolu.

Nous observons donc une cote de popularité dans la population pour la langue et pour le bilinguisme. Nous faisons nôtre l’un des attendus d’un document directeur issu de la Région Bretagne16 :

Ces taux importants d’opinion favorable au développement de la langue bretonne encouragent tous les acteurs à poursuivre et amplifier la mise en place de politiques linguistiques efficaces. Ils (…) invitent à amplifier, dans ce cadre, les actions afin de contribuer à la mise en place de conditions favorables à une appropriation de la langue bretonne par tous les habitant·e·s de la Bretagne qui le souhaitent – il ne doit exister ni obligation, ni restriction – dans une perspective inclusive : la politique linguistique régionale doit continuer à s’adresser à chacun·e, quels que soient son origine, son lieu de vie, son âge ou sa catégorie socio-professionnelle ; elle doit continuer à s’adresser à tous et non aux seul·e·s brittophones.

3 La probléma-tique

Hervé Abalain (1995), dans son Histoire de la Langue Bretonne, et à propos de cette dernière, est catégorique : « son avenir est tributaire à la fois du nombre de locuteurs et de l’usage qui sera fait de la langue elle-même. ».

Dans une optique militante visant d’abord au sauvetage puis au renouveau à terme des langues bretonnes, il s’agit donc d’abord d’augmenter significativement le nombre de leurs locuteurs.

Mais est-ce seulement imaginable dans un contexte d’étiage aussi prononcé ? Il ne faut pas être naïf sur la difficulté de l’entreprise, rappelle Erwan Le Pipec (2016, p. 13-14) : « Si l’on admet que ce « sauvetage » consiste à restaurer l’usage de la langue bretonne grâce à un nombre considérable de locuteurs, on doit admettre que le projet ressemble à de la méthode Coué, tant est immense la tâche». Il constate d’ailleurs l’existence d’un deuxième tabou, qui impose le silence à ceux qui voudraient exprimer ces difficultés.

Ballottée entre ses deux tabous (interdit d’évoquer la démission culturelle, interdit de parler de la difficulté de mobiliser un grand nombre de locuteurs), la langue voit son sort verrouillé, de l’intérieur.

Comment s’appuyer dès lors sur les signaux positifs qui ont été notés, sur le désir de langue pour soi et pour ses enfants observé dans la population ?

Peut-être appartient-il à des non bretons d’origine17 d’oser briser ces tabous, d’oser proposer des pistes pour réduire le différentiel entre désir et acte d’apprendre et atteindre l’objectif de former un très grand nombre de locuteurs.

4 La réappro-priation de la langue est-elle suffisamment engagée ?

Commençons par l’examen des initiatives ayant conduit à maintenir une présence minimale de la langue dans l’espace public ou privé. Naturellement l’offre d’enseignement occupe une grande place, mais pas seulement. Nous essaierons de mesurer l’efficacité de ces initiatives au regard des « critères » d’Abalain et d’après la classification proposée par N. Blanchard (transmission, légitimité et visibilité). Ensuite nous chercherons à savoir ce qui pourrait les rendre plus « efficaces » (en nombre d’apprenants potentiels, puis de locuteurs).

Pour revenir à la transmission de la langue, puisque celle-ci n’est plus familiale (ou très marginalement), une première réflexion doit prendre en compte la présence de deux partenaires : l’élève, qui apprend, et le maître (ou le système scolaire), qui produit l’enseignement. Il est donc légitime d’interroger l’élève, quant à ses motivations (si ce n’est quant à ses capacités), et le maître, quant à ses performances, ce que nous allons faire.

Mais il existe aujourd’hui d’autres visions de la transmission, comme celle que présente David Grosclaude, Conseiller régional d’Aquitaine18 :

Notre vision de la transmission est complètement changée alors que politiquement l’on nous renvoie à des schémas anciens. On nous dit que nos langues ne se parlent plus, ou mal, et qu’elles ne se transmettent plus en famille. Mais (…) la question de la transmission ne se pose plus aujourd’hui comme elle se posait il y a cinquante ans. Ce ne sont plus ni l’école ni la famille, finalement, qui sont les éléments majeurs de transmission de la langue. Nous avons besoin aujourd’hui de technologies pour les transmettre, pour les faire apprendre et les faire connaître. Nous sommes nous-mêmes encore sur des schémas anciens, parce que l’on parle beaucoup de transmission par l’école, on nous renvoie à la transmission familiale en nous disant que c’est de là que nous tirerions notre légitimité. Je demande aujourd’hui combien de langues se transmettent uniquement par l’école et par la transmission familiale : certainement encore beaucoup, mais les choses sont en train de changer.

Ces réflexions tendent à relativiser l’importance de l’école dans la transmission et suggèrent de dépasser les « schémas anciens ». Nous y reviendrons.

4.1 La transmission : les filières scolaires

Les filières scolaires permettent d’accéder à une formation à la langue (surtout bretonne) durant la scolarité, pour les familles volontaires. Il n’est nulle question aujourd’hui d’un enseignement obligatoire, qui serait un tant soit peu comparable à celui de la langue hégémonique. Ces filières fonctionnent soit en immersion en breton (écoles Diwan), soit en cours bilingues français-breton (Dihun, DivYezh), et sont portées totalement ou partiellement par le milieu associatif et par le corps enseignant.

Évidemment, ces filières ne peuvent fournir un apprentissage qu’à un nombre limité d’élèves et ce, dans des parcours malmenés au gré des réformes scolaires, dans lesquels le breton (que dirait-on à propos du gallo…), langue vivante en option, est bien souvent sacrifiée au profit de matières jugées plus utiles. L’attitude des parents, influencés par les clichés traditionnels19 sur la moindre utilité de la langue bretonne au regard de langues supposées plus « efficaces », contribue également à ce que ne soient formés scolairement au breton qu’un nombre très limité d’élèves.

L’Office Public de la Langue Bretonne (op. cit.) estime que « la dynamique des filières bilingues est un signe de confiance très important dans l’avenir de la langue » et espère une remontée de la courbe des locuteurs… après 2040. Mais à condition que «  l’attention [se porte] … sur le développement de la préscolarisation en breton (crèches, assistantes maternelles), la continuité de l’enseignement bilingue jusqu’en terminale, la mise en place de parcours complets d’initiation à la langue (environ 14000 élèves aujourd’hui), le développement des formations pour adultes et la diversification de l’offre post-baccalauréat ». Toutefois, dans le moment présent, on ne peut que constater que la politique linguistique de la Région Bretagne, affichée volontariste (mais sans grands moyens financiers), est loin de se comparer à celle du Pays de Galles voisin, par exemple.

Évoquées par l’OPLB, il existe des formations pour adultes. Nous allons examiner l’efficacité, non des formations elles-mêmes, mais de leur popularité dans la population adulte (post-scolaire), c’est à dire la grande majorité de la population, présumée responsable de ses choix et de ses décisions.

4.2 La transmission : l’enseignement pour adultes

Bon an, mal an, les formations pour adultes, telles qu’elles sont proposées dans leurs formules actuelles, montrent leurs limites (cf. supra, 3.3.2). Même animés d’un fort désir de langue, les post-scolaires sont réticents à investir dans des cours de langue organisés, et peu franchissent le pas.

En première analyse, ces cours, tels qu’ils sont proposés aujourd’hui, présentent plusieurs inconvénients qui expliquent leur relatif insuccès. Évalués en termes de coûts-bénéfices pour l’apprenant, même s’il est difficile de le faire dans toutes leurs composantes, ils montrent que les bénéfices ne sont jamais certains face à des coûts bien réels, qui peuvent parfois apparaître comme prohibitifs. Ces coûts attachés à l’enseignement pour adulte peuvent être décomposés en une contribution en temps, en un tribut en contraintes sociales et en un investissement financier, quelle que soit leur formule :

– En ce qui concerne le temps : les cours du soir exigent au moins une présence une fois par semaine, durant plusieurs années de suite. L’assiduité à ces rendez-vous hebdomadaires à heure fixe durant une heure et demie est souvent difficilement conciliable avec la vie active professionnelle ou parentale ; les stages de week-end ou de période de vacances sont sans doute plus rapidement profitables (à condition de les multiplier et d’y jouer le jeu d’une quasi immersion) mais ils sont eux aussi chronophages, et là encore, leur accorder (leur sacrifier ?) du temps se fait au détriment d’autres activités : vie de famille, activités sportives, contacts sociaux… non dénuées d’intérêt elles-aussi.

– Quant aux contraintes sociales, elles sont liées à la situation d’apprentissage elle-même : formalités d’inscription, assiduité, relations avec les co-apprenants et l’enseignant. L’accès à un cours du soir traditionnel, par des élèves partant d’un niveau identique, représente déjà un effort important. Or, les cours de breton pour adultes accueillent des parcours d’apprenants les plus variés, depuis les nouveaux apprenants (débutants) – pauvres locuteurs de la langue mais aptes à en saisir rapidement l’écriture – jusqu’aux locuteurs de naissance ayant parfois mis leur langue – acquise dans l’oralité – entre parenthèses pendant des décennies, mais ne sachant ni la lire ni l’écrire pendant l’apprentissage. Ces télescopages au sein d’une classe entraînent découragements et décrochages, et exigent des enseignants un grand doigté dans la conduite de leurs cours.

– Enfin, le coût financier de ces cours n’est pas négligeable qui, s’ajoutant au coût en temps et en contraintes sociales, est mis en balance et souvent arbitré négativement, au profit d’autres d’activités jugées -subjectivement- plus profitables.

Certaines démarches d’apprentissage bénéficient de motivations objectives clairement perçues, qui viennent accroître la perception des bénéfices attendus. Celles-ci recouvrent, par exemple :

– le besoin d’apprendre la langue parce qu’on a inscrit ses enfants en filière bilingue : le ou les parents considèrent alors qu’ils doivent compléter une sorte d’engagement qu’ils ont pris vis à vis de leurs enfants, de la société, de leur cercle familial… en embarquant leur enfant20 dans ces modalités d’études

– le besoin de connaître la langue pour aborder une nouvelle activité professionnelle ou renforcer ses compétences liées à la langue (enseignement, soins aux personnes âgées, structures régionales et départementales…)21,

Mais on a vu que les populations concernées sont très faibles, même si elles sont susceptibles de se développer.

Des formations en dehors de la salle de classe sont possibles par correspondance22 et utilisent de plus en plus internet23. Les outils de base sont nombreux et souvent forts savants dans leur version traditionnelle (dictionnaires, encyclopédies classiques), mais leurs versions modernes (traducteurs en ligne par exemple) sont d’une frappante pauvreté24 en comparaison de ce qu’ils sont pour d’autres langues, même celtiques (gallois, irlandais). A l’heure où peut se dérouler en temps réel25 une conversation bilingue entre un francophone et un chinois, un indien ou un allemand, l’apprentissage en ligne du breton se résume à quelques « applis » de type quiz… Mais nous reviendrons sur ces possibilités de formation « hors sol » (de classe), car elles sont porteuses d’espoir.

4.3 Le combat pour la légitimité

La longue litanie des revendications destinées à donner un statut aux langues minoritaires de France et leur maigres résultats font penser à un jeu de dupes, avec recours au Conseil Constitutionnel en tant que de besoin.

Des pétitions ont circulé dès les années 1920 pour demander un statut pour la langue, mais en vain. La langue bretonne est aujourd’hui la seule langue celtique à ne disposer d’aucun statut car la République française n’a pas ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et a instauré la loi relative à l’emploi de la langue française dite « loi Toubon » supposée défendre le français face aux langues étrangères et notamment, face à l’anglais, et en même temps soutenir les langues régionales. Résultat : une bonne intention initiale (?) se fracasse sur la radicalisation du Conseil constitutionnel contre les langues régionales de France. De l’aveu même de Jacques Toubon, « on assiste malheureusement dans ce domaine à un combat idéologique entre le Conseil constitutionnel et les partisans de la charte européenne des langues régionales. A mon avis, le Conseil constitutionnel commet un contresens en luttant contre ces langues menacées tout en laissant libre cours à l’anglais dans l’audiovisuel et la publicité. Car il est bien évident que le français est bien plus menacé par l’anglais que par le picard ou le gascon26. » Conclusion : des années de perdues pour la reconnaissance des langues minoritaires ! Voici comment le Conseil règle le sort des langues régionales :

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français… DÉCIDE : la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires comporte des clauses contraires à la Constitution. »

Le combat pour la légitimité des langues régionales est inexcusablement long en France. Peut-être est-ce à cause de prises de position peu marquées, voir hostiles de la part de nombreux élus. Des manœuvres de dernière minute pour contrecarrer l’examen de textes favorables en Commission des Lois ne glorifient pas le débat démocratique. La position des différents partis au niveau national semble figée, peut-être jusqu’au jour où les élus seront apostropher de façon comminatoire par un nombre suffisamment important de leurs administrés. Mais pour quelques députés bretons bien engagés dans ce combat, combien de dérobades ?

4.4 La présence visible, lisible et audible de la langue

Certaines actions destinées à afficher l’existence de la langue dans l’espace public sont spectaculaires, mais on peut leur reprocher de n’avoir comme finalité que de serrer les rangs des convaincus. Elles sont parfois mal perçues par le grand public, et leur contenu est pédagogiquement pauvre, voir contre-productif : ces actions coup-de-poing mériteraient d’être expliquées au-delà de simples communiqués de presse, et surtout elles devraient se prolonger par des propositions en direction de toute la population. Le community managment, les réseaux sociaux semblent ne pas faire partie de la panoplie des activistes bretons…

La création culturelle est un autre élément dont il a été fait usage au service de la vitalité et de l’attractivité de la langue. Elle doit cependant veiller à ne pas se laisser confiner dans une forme de théâtralisation ou de folklorisation. « L’action sur la culture est importante pour changer le regard social mais surtout pour tenter de lever le refoulement culturel en luttant contre les représentations culturelles de substitution comme celles qui déprécient la langue première ou celles qui en font précocement une langue morte.» (Boquel 2011, p. 20).

Les acteurs de la culture bretonne mesurent-ils bien les conséquence de l’isolement dans lequel la langue est encore maintenue, peut-être par peur de l’hégémonie cannibalisante du français ? Le résultat est que trop souvent la langue de la culture bretonne n’est accessible qu’à une élite, une communauté, et restée coupée de la majorité. Aujourd’hui, on semble avoir compris que cette distanciation est un non-sens à la fois économique et culturel. Des sous-titres, des traductions « minimales » -parfois limitées aux titres- apparaissent, qui suffisent cependant aux néo-apprenants pour lire la langue tout en l’écoutant, et au grand public d’ajouter au plaisir de l’écoute et de la lecture celui de la compréhension.

Inversement, la culture d’expression française -voire anglaise- devrait se souvenir qu’elle intervient en territoire bretonnant ou gallésant et l’adoption par ses acteurs, dans le cadre d’une démarche volontaire, d’une « signalétique culturelle bilingue » (plaquettes, flyers, annonces, présentations…), n’aurait que des effets bénéfiques.

La langue recèle de nombreux autres angles par lesquels elle peut être questionnée et, de là, réappropriée ; que l’on songe par exemple aux centaines de milliers de micro-toponymes aux noms bretons portés sur le cadastre napoléonien des communes, et qui peuvent quasiment instantanément donner prétexte à des enquêtes de compréhension associant toute la communauté territoriale, sous l’égide des élus, des associations culturelles, des établissements scolaires, co-réalisées dans les familles et arbitrées par les universitaires linguistes ; que l’on songe à l’abondance du répertoire de gwerzioù et de chants patiemment accumulés pas des générations de collecteurs et qui attendent d’être traduits, compris et surtout partagés… Que l’on songe, et nous y reviendrons, à l’infinie palette des accents des terroirs que les collectes passées ont tout juste échantillonnés.

Beaucoup reste encore à faire pour que la langue retrouve sa place dans la société. La parole publique, celle des élus en prise avec leurs territoires, gagnerait à montrer l’exemple. En fait, toute une pédagogie est à mettre en œuvre, à l’échelle de la Région, pour dé-confiner la langue de façon vraiment efficace.

Cette revue permet de comprendre que vouloir inciter une grande partie de la population à se réapproprier sa langue passe par des voies d’action déjà identifiées, mais que certaines de ces voies sont plus ouvertes (ou fermées) que d’autres… Mais, si l’État a été contourné comme le rappelle Le Coadic (2001, p. 47) en citant le cas des écoles Diwan, pourquoi ne pas contourner également le principe même de scolarité ?

Nous allons continuer en explorant essentiellement les possibilités de renforcement de l’accès à l’apprentissage autonome, en direction de la population adulte.

5 Augmenter l’envie d’apprendre et faciliter l’accès à l’apprentissage

Gérard Prémel (op. cit. p. 55), insiste sur « la nécessité d’une posture culturelle délibérée et d’une pédagogie spécifique pour la réappropriation de la langue antérieurement démise ». Ce sont les éléments clés de la reconquête de la langue, les instruments d’une véritable anamnèse. Ils s’adressent spécifiquement aux adultes. Mais ces instruments ont-ils jamais été compris, admis et mis en œuvre dans les sphères du pouvoir, ont-ils jamais fait l’objet de campagnes d’information et d’explication en direction du grand public ? Quoi qu’il en soit, nous essaierons de nous en inspirer dans ce qui va suivre. Un deuxième axe est socio-affectif. Citons à nouveau Pierre Bocquel :

Sur le plan subjectif, il est nécessaire d’accompagner les personnes en rupture, les aider à s’affranchir de la honte, à retrouver et investir leurs racines et ressources affectives en faisant vivre la langue maternelle par une valorisation et une réintroduction de celle-ci. Cette action participe à lever le refoulement de l’affect qui, nous l’avons vu, joue un rôle central dans la morbidité. La personne retrouve non seulement des liens avec elle-même, avec son histoire mais aussi avec les autres.

Vouloir atteindre l’objectif de la reprise de la transmission parentale suppose d’abord qu’un grand nombre27 de parents-transmetteurs aient été préalablement formés à la langue. Pour atteindre ce stade, il est nécessaire de faire adhérer à cette double démarche (apprendre la langue et la transmettre à leurs enfants) le maximum de futurs parents. Les offres traditionnelles, nous l’avons vu, ayant montré leurs limites, notamment en effectif formé, il faut rechercher de nouvelles incitations à l’apprentissage, que nous allons évoquer.

___

Ces principes étant rappelés, se pose la question de la mise en mouvement, de l’articulation des différentes actions à entreprendre. Or, réduire la distance entre « désir de langue » et « acte d’apprentissage » peut s’obtenir de deux façon : augmenter la motivation (l’envie d’apprendre) ou bien réduire le coût de la possession (la facilité d’accès à l’apprentissage).

5.1 Augmenter la motivation

Pourquoi augmenter les motivations des adultes à apprendre la langue pour eux-mêmes et pour la faire apprendre à leurs enfants ?

« La motivation est un construit central des théories de l’apprentissage. Bien qu’il existe de nombreux autres facteurs pouvant justifier la réussite, elle semble en effet en être un des meilleurs prédicteurs (Dweck & Elliot 1983), voire même le facteur clé (Laferrière 1997) » (Knoerr, 2005 sect. 5).

Augmenter la motivation renvoie très vite aux techniques du marketing. Mais, bien que la comparaison entre l’apprentissage d’une langue et un objet de consommation courante puisse sembler quelque peu surprenante, cette approche n’est pas en soi dénuée de fondement, dès lors que peuvent y être définis un ensemble de consommateurs (les apprenants), un coût de possession (le temps passé, les contraintes, le prix du cours…) et une mesure de satisfaction. C’est d’ailleurs cette dernière, anticipée par le futur élève, qui va aiguillonner la motivation.

La possession de la langue se caractérise comme un « capital humain qui sert à communiquer avec les autres », mais également « comme un attribut ethnique qui détermine, en tout ou en partie, l’appartenance de l’individu à un groupe ou à une société donnée » (Grin et Vaillancourt, 1997, p. 69). De nombreux facteurs interviennent dans la motivation, tels l’estime de soi, l’influence des valeurs sociales, la pression à la conformité… ainsi que, de façon toute appropriée en Bretagne, le sentiment régional (Dion et al., 2010, pp. 15 à 23)qui, comme beaucoup d’entreprises délivrant des « produits en Bretagne » l’ont compris, permet de :

• Mettre en récit [la langue28] à partir des représentations de la région

• Plonger le consommateur dans une atmosphère régionale

• Mettre en valeur la culture régionale

• Favoriser l’exhibitionnisme régional

• Se placer comme une alternative à la mondialisation

• Favoriser l’expérience communautaire

• Mettre en avant la solidarité régionale

En surimpression, des considérations individuelles, spécifiques, liées aux évènements de la vie des individus, éventuellement à des ruptures, sont à prendre en compte :

– les moments et les temps particuliers : arrivée sur le territoire, déplacements, changement de vie,

– les envies de loisir : chanter en breton ou en gallo, applaudir les artistes s’exprimant en breton ou en gallo,

– les envies de comprendre l’espace public (noms de lieux, panneaux routiers, journaux…),

– les nécessités du travail actuel ou du travail visé (enseignement, aide sociale),

– d’autres motifs, plus « sentimentaux» (la langue me plaît, elle résonne bien en moi ; mes (grands) parents la parlaient ou la comprenaient ; je me souviens de mes vacances ; je trouve injuste le sort qui lui a été réservé… ).

Tous ces éléments transparaissent très largement au travers de l’enquête L. Alle (op. cit.). A la question : « Pour quelles raisons vous sentez-vous attaché ou non à ces langues [breton ou gallo]? », 90 % des réponses citent un argument favorable (racines, famille, suite de l’école, origines, fierté, ça fait partie de ma culture…).

Ces éléments de motivation sont autant d’arguments utilisables pour nourrir une campagne de sensibilisation destiné à ré-intéresser à la langue.

5.2 Réduire le coût d’accès à l’apprentissage

On peut tenter d’abord d’agir en faveur de la réduction des coûts les plus visibles (inscription à un cours du soir, à un stage) : une politique incitative, dotée de moyens financiers suffisants, permettrait de limiter le coût de formation au breton et au gallo supporté par les élèves adultes et le rendre attractif par rapport à des activités de durée et de besoin en compétence comparables.

5.2.1 Le coût en temps

Le tribut en temps peut difficilement être allégé en valeur absolue (durée d’apprentissage), en revanche on peut envisager de le répartir de façon plus souple, en donnant accès aux cours en distanciel, voire en différé (à partir d’enregistrements), tout en permettant également la tenue de cours en présentiel.

Nous allons à présent porter l’attention sur les apports potentiels des TIC29 dans le domaine de l’apprentissage des langues étrangères. En première approche, on peut présager que leur développement autorisera une plus grande flexibilité, mais il y a beaucoup plus à attendre des technologies de l’information et de la communication.

5.2.2 Augmenter la flexibilité de l’apprentissage – le rôle des TIC

Plusieurs études (Knoerr, 2005, sect. 22) notent l’impact positif des TIC sur la motivation dans l’apprentissage. On retiendra notamment le fait de travailler avec un nouveau médium, la nature de l’enseignement plus individualisé qu’elles permettent, les possibilités d’une plus grande autonomie pour l’apprenant.

Tous ces aspects sont censés aider l’apprenant à développer et à utiliser de manière consciente des stratégies adéquates d´apprentissage (apprendre à apprendre). Il semblerait également que l’utilisation des TIC favorise une meilleure attitude face aux apprentissages et une collaboration accrue entre les différents acteurs : école, famille et milieu. Les types d’apprentissages étant plus variés, plus signifiants et liés aux intérêts des apprenants, ceux-ci voient leur curiosité davantage sollicitée.

L’intérêt manifesté pour les TIC dans l’apprentissage est confirmé par l’enquête L. Alle déjà mentionnée : « L’accès à des applications mobiles » vient en tête des réponses à la question « Qu’est-ce qui vous motiverait à apprendre le breton ou le gallo ? », avec, dans la tranche d’âge 15-25 ans, plus d’un répondant sur deux, suivi de « une plus grande liberté dans l’apprentissage », immédiatement après.

Comment les TIC peuvent-elles, concrètement, intervenir positivement sur les motivations ou les facilités d’accès à l’apprentissage de la langue ?

Il est d’abord, dans un premier temps, relativement facile d’organiser et de mettre à disposition de l’enseignement classique (enseignants et animateurs de groupes de conversation) et du grand public le maximum de documents vocaux existants de toutes origines, issus des collectes anciennes (Dastum…), des documents sonores littéraires ou non, des bandes-son des vidéo… Certains portails internet comme https://audio-lingua.eu/ montrent le chemin à suivre. Naturellement, une campagne de collecte massive permettrait d’augmenter le nombre et la variété de ces documents.

Les notions d’accès facile et libre sont essentielles, car, d’expérience, le découragement gagne très vite dès que le nombre de « clics » se multiplie avant d’aboutir… à une demande d’inscription ! Ce sont des points à prendre particulièrement en compte, et toute politique en faveur de la langue se doit d’inciter ce libre accès.

Mais un simple accès passif à une base de donnée vocale ou vidéo, aussi abondante en documents soit elle, ne suffit pas pour entretenir la motivation et l’auto-apprentissage de la langue. Il s’agit donc de dépasser ce stade en proposant d’abord des enrichissements aux documents bruts, comme des transcriptions textuelles ou en sous-titres, des traductions, puis d’utiliser l’abondant matériel réuni pour faire naître des systèmes d’apprentissage de type assistants personnels qui permettront d’accroître l’autonomie de l’enseigné par rapport à l’enseignant mais surtout par rapport aux contraintes temporelles et administratives (inscription, présence, présence d’autres, horaires…) de l’enseignement traditionnel.

Notre analyse est que les technologies d’assistance virtuelle à l’apprentissage des langues (nommées parfois précepteur numérique), avec leurs progrès récents et surtout à venir, sont les seules façons de permettre à des centaines de milliers d’adultes d’aborder sans avoir à se soumettre à des contraintes trop fortes l’apprentissage de langues qui leurs sont chères30.

___

Après avoir exploré comment il serait possible d’augmenter les motivations et de diminuer le coût intégré de l’apprentissage, il est temps de proposer une démarche concrète, avec des objectifs, des résultats à atteindre, des actions à mettre, des délais et des budgets… Il s’agit en somme de mettre en œuvre ce qu’on appelle en ingénierie un projet.

6 Un projet pour les langues bretonnes

L’aboutissement des considérations précédentes est que la réappropriation des langues bretonnes par la population peut être orchestrée, à condition de respecter une démarche précise :

– une campagne de communication à destination des adultes, fournissant toutes explications sur l’état de la langue et incitant à pratiquer massivement des actions de collectages auprès des locuteurs agês

– l’utilisation de ce collectage pour créer de nouveaux outils destinés à provoquer, par leur flexibilité, le passage massif à l’acte d’apprentissage

– établir une structure de suivi de ces différentes étapes (objectifs, jalons, bilans intermédiaires…).

Une telle démarche s’organise dans ce qu’on appelle conventionnellement un projet, qui possède sa logique de développement, sa mobilisation de ressources et sa communication, le tout en vue d’atteindre des objectifs chiffrés.

Ce projet est d’ores et déjà défini ; il a été nommé : « Hor Yezhoù  – Nôs Parlements – les Bretons retrouvent leurs langues»31.

En voici les points saillants : « faire recueillir par les familles bretonnes auprès de leurs aînés locuteurs de naissance des albums vocaux familiaux constitués de témoignages audio ou vidéo, et les rassembler, les valoriser et les mettre à disposition de tous, pour aboutir à des apprentissages massifs -individuels et collectifs- de la langue. »

• D’ici à 5 ans (2025), au moins 500 000 familles bretonnes auront réalisé des témoignages vocaux de leurs aînés, bretonnants ou de langue gallèse

• Au moins 100 000 Bretons se seront engagés annuellement dans une formation à l’une des deux langues bretonnes.

Le projet Hor Yezhoù – Nôs Parlements : objectifs quantitatifs

6.1 Séquencement et contenu des premières actions

Le projet se décline en une suite d’actions échelonnées dans le temps et impliquant un nombre important d’acteurs à chaque étape. Ces actions s’inscriront non en concurrence, mais en complément des offres d’apprentissage actuellement en place. Elles ont pour vocation de les renforcer en ciblant cette partie (majoritaire) de la population qui, bien que se déclarant intéressée par la langue, n’a pas la motivation suffisante pour passer à l’acte.

6.1.1 Une « mission » linguistique

L’idée de base est de convaincre toute personne habitant la Bretagne de s’investir dans la sauvegarde de sa langue historique, en lui confiant une sorte de mission linguistique32 consistant à aller vers les locuteurs dans sa propre famille ou à proximité, à recueillir leur parole puis à la partager.

La base argumentative est une injonction respectueuse, dans les familles, en direction des aînés : « Confiez-nous vos voix et vos accents, nous voulons les préserver », elle décrit une situation espérée de passage de relais, de confiance, d’intention bienveillante, de reconnaissance de la valeur de l’objet (langue), un acte de transmission depuis la génération âgée vers les plus jeunes. Par voie de conséquence, ayant dans un premier temps contribué à préserver leurs langues, puis ayant approfondi leurs connaissances sur leur histoire et leurs infortunes, les participants auront à cœur de les faire renaître, d’abord en les apprenant puis en les pratiquant au quotidien, et ce d’autant plus qu’ils auront accès à des outils linguistiques et pédagogiques supplémentaires.

Il s’agit donc, dans un premier temps, de créer un mouvement d’empathie entre les (plus) jeunes générations, détentrices d’un savoir faire technique et les générations plus âgées, détentrices de ce trésor patrimonial que représentent les langues historiques. Malgré les réticences et les résistances qui ne manqueront pas d’apparaître lors de cette entreprise, on estime néanmoins que l’enjeu, s’il est suffisamment bien expliqué, est de nature à inciter un très grand nombre de familles à contribuer au projet.

6.1.2 Une mise en commun

La phase de collectage massif de la voix des aînés sera réalisée grâce à des outils technologiques courants (smartphones), qui fourniront le matériau de base pour constituer des albums vocaux familiaux. Ces albums seront d’abord écoutés et partagés entre les membre des familles participantes, puis échangés plus largement que dans le cercle familial pour être mis à disposition d’une très vaste communauté. De plus, ils seront enrichis par adjonction de traductions et de sous-titres.

Leur accès étant largement ouvert, ils pourront enfin servir de matériel pédagogique pour la deuxième phase du projet. Celle-ci consiste à susciter le maximum de passages à l’acte d’apprentissage, que ce soit dans un mode individuel (auto-apprentissage) ou dans un mode collectif. On pourra en effet choisir la meilleure façon d’utiliser cet abondant matériel pédagogique : individuelle, en des temps et des lieux choisis, ou bien collective, au sein d’un groupe se réunissant régulièrement. Dans tous les cas on aura à sa disposition, en toute liberté, l’accès à des documents sonores sélectionnés dans un territoire donné, un dialecte donné, une thématique donnée.

6.2 Des étapes ultérieures ambitieuses mais nécessaires

Faciliter l’accès à l’apprentissage de la langue et de là, à sa transmission passe, nous l’avons vu, par la disposition d’outils d’auto-apprentissage. Il faut donc miser sur – voire provoquer – les évolutions qui se dessinent dans ce domaine avec, en particulier, l’apparition d’applications informatiques dédiées à l’apprentissage privé, hors des circuits traditionnels de formation.

Ces applications font partie des assistants numériques33 dont certains sont spécialisés dans l’apprentissage des langues34. Elles peuvent être perçues comme de véritables présences familières dans la sphère domestique ou personnelle, et sont utilisables au rythme et dans les conditions de lieu et de temps choisis par l’utilisateur. Leurs possibilités interactives en font des instructeurs vocaux, des répétiteurs et des lecteurs inlassables, mais aussi des correcteurs de prononciation ou encore des fournisseurs de renseignements, dans la langue de son choix.

Il est certain qu’à motivation égale, le recours à ce type d’(auto)-formation sera privilégié par un adulte dans la vie active, même si les conditions de l’enseignement traditionnel conservent tout leur intérêt dans de nombreux cas.

Dans la mesure du possible, le projet Hor Yezhoù – Nôs Parlements cherchera à tirer profit de ces nouvelles technologies d’enseignement.

En retour, il pourra contribuer à leur développement en apportant le corpus oral35 rassemblé lors de la phase de constitution des albums vocaux familiaux.

Ainsi, pour étendre les acquis du projet, on dotera, dès que cela sera possible, sa plateforme technique des fonctionnalités lui permettant de répondre aux requêtes d’un assistant numérique (précepteur virtuel), par exemple pour gérer une session d’apprentissage du breton (« reprenons la leçon en cours »), ou encore pour placer l’apprenant dans un environnement sonore dans la langue de son choix (« aujourd’hui, parle-moi en breton »). On pourra même envisager de faciliter l’accès vocal et sonore à l’ensemble de la littérature bretonne numérisée et à toutes les collections d’archives sonores déjà constituées.

Et nous ne pouvons qu’être en phase avec les considérations suivantes (Ar Mogn, 2015) :

Parmi les développements que nous considérons comme vitaux pour la langue bretonne, nous comptons l’accession à la synthèse vocale. En effet, si la langue bretonne a commencé à trouver sa place dans la société à l’écrit, il faut maintenant l’entendre dans les bus, dans les trains, dans les services, sur les smartphones et les GPS. C’est un pas décisif à franchir. L’obstacle est essentiellement financier, sachant que lorsqu’on pense aux enjeux, les besoins financiers ne devraient pas être un obstacle insurmontable.

____

Les participants au projet bénéficieront également d’un soutien dans leurs efforts d’apprentissage, et un « réseau des familles apprenantes » permettra d’entretenir leurs motivations.

Ainsi donc, avec les appuis et soutiens nécessaires, le projet « Hor Yezhoù », misant sur les sentiments d’appartenance et d’identification à la Bretagne et à ses langues, et favorisant le recours à des techniques d’apprentissage nouvelles, aussi bien individuelles que collectives, entraînera un bien plus grand nombre qu’actuellement de non bretonnants dans l’apprentissage de leur langue historique, puis dans son usage au quotidien, autorisant l’espoir, à terme, de la reprise de la transmission familiale.

L’ambition du projet est d’enclencher un processus dans lequel une première base d’apprenants utilise une première panoplie d’outils et réclame leur amélioration à l’industrie (bretonne, evel just) de la cognition. Le coût de l’ajout de valeur est évidemment à répartir sur toutes les parties prenantes36, en tenant compte de l’extension extra territoriale possible aux autres langues minoritaires de ces développements technologiques.

6.3 Analyse des risques

Il est important dès ce stade de connaître les risques de non-aboutissement du projet. Ces derniers sont liés à une insuffisance de mobilisation pour le recueil des voix (réticences des personnes sollicitées, ratage de la campagne de communication), une disponibilité trop tardive des outils pédagogiques de qualité suffisante (même si leur développement et leur mise en place seront progressifs), une opposition explicite ou non, voire inconsciente des parties prenantes (la force résiduelle des tabous). Les aspects technologiques « pointus » du projet impliquent certainement la mobilisation de financements, mais ne sont pas insurmontables. Bien sûr, l’examen de ces risques fait partie intégrante du projet pendant sa durée de vie.

6.4 Point d’étape

Le projet est en phase de lancement. Une première étape a consisté à analyser les enquêtes existantes et à mettre en œuvre une nouvelle enquête (enquête Alle, op. cit.), spécifiquement destinée à mesurer le rapport des Bretons à leurs langues historiques.

Les résultats de cette enquête, et notamment la restitution des impressions subjectives et du ressenti, classées par tranche d’âge, permettra d’orienter l’argumentaire de la campagne de mobilisation, campagne qui sera, avec la mise en place d’outils de communication, la première étape de ce projet.

7 Conclusion

« Nous avons les moyens de vous faire parler » : c’est par cette expression chargée d’une magnifique ambiguïté que nous aimerions terminer cette analyse critique des incitations à l’apprentissage les langues bretonnes.

Nous avons commencé par évoquer l’insupportable éviction des langues historiques de Bretagne par la langue hégémonique de la France : oui, la République s’est donné les moyens de faire parler les Bretons, mais en français, et à quel prix ? Ce « nous avons les moyens de vous faire parler » résonne alors comme une scène de « question » lors de l’Inquisition, l’aveu recherché renvoyant au petit écolier breton contraint par un hussard noir d’abjurer sa langue sous la menace du symbole… L’aveu obtenu auprès d’un accusé faisait rapidement tomber les barrières morales des autres…. L’acculturation s’est propagée de génération en génération, détruisant sous la contrainte la transmission de la langue, conduisant à sa quasi-extinction.

Des soubresauts ont eu lieu, animés par ceux qui, comprenant ce qui se passait, refusaient de s’incliner : la langue a vu se lever nombre de défenseurs, utilisant nombre de champs d’action. Mais sa survie est toujours en question, si l’on compare le faible effectif mis en jeu, rapporté à la population générale et à son indifférence sur cette question.

Indifférence apparente seulement : leurs langues sont visiblement toujours « dans le cœur » des Bretons. C’est cette cote de popularité que nous voulons utiliser pour transformer la passivité en action. Donner envie d’apprendre la langue en rendant son apprentissage plus accessible au plus grand nombre.

Cela passe par une nécessaire rencontre, un rendez-vous entre les Bretons et leur langue, organisé au sein des familles, au sein des générations que le français, langue intruse, avait isolées. Cette rencontre sera une opportunité pour les plus jeunes de se voir confier « en confiance » par les plus âgés leur langue, leurs intonations et leurs accents.

Et, petit à petit, se dessinera une réappropriation de la langue, grâce à une prise de conscience collective et de nouveaux outils pédagogiques. Nous aurons alors « les moyens de nous faire parler »… le breton et le gallo.

8 Bibliographie

ABALAIN, Hervé, 2000. Histoire de la langue bretonne, Paris, Éditions Jean-Paul Gisserot, 2000.

ALLE, Loeiza, 2020. Enquête sur le « rapport des 15-24 ans à la langue bretonne et au gallo ». Mars 2020, résultats préliminaires – communication privée

AR MOGN, Olier, 2015. Langue bretonne et nouvelles technologies : une vitalité à soutenir. Colloque sur les technologies pour les langues régionales de France, p. 71à 76.

BLANCHARD, Nelly, 2018. Le breton, langue de Basse-Bretagne. http://bcd.bzh/becedia/fr/le-breton-langue-de-basse-bretagne

BOQUEL, Pierre, 2011. Abandon de la langue maternelle. Paradoxe identitaire, honte et pathologie. https://ieo-oc.org/IMG/pdf/Abandon_de_la_langue_maternelle_Paradoxe_identitaire_Honte_et_Pathologie_Dr_BOQUEL.pdf

BOURDIEU, Pierre, 1982. Ce que parler veut dire: l’économie des échanges linguistiques. Paris, Fayard, 1982.

CASSARD, Jean-Christophe, 1983. Le génocide originel : Armoricains et Bretons dans l’historiographie bretonne médiévale. Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest. Tome 90, numéro 3, 1983. pp. 415-427; doi : https://doi.org/10.3406/abpo.1983.3132

CARRER, Philippe, 2007. Ethnopsychiatrie en Bretagne. Coop Breizh.

CORBEL, Pierre, 1983. Antropologie et Sociétés.1983, Vol. 7, n°3 : 109-119

DIAZ, Anne, 2018. « Gallos » et « Bretons » : représentations de l’Autre et mobilisation de la frontière linguistique dans les processus de construction identitaire : une approche anthropologique de la limite entre Haute et Basse-Bretagne.UniversitéRennes2, 2018. Français.NNT:2018REN20029. tel-01868251

DION, Delphine, REMY, Eric et SITZ, Lionel, (2010). Le sentiment régional comme levier d’action marketing. Décisions Marketing. 58. 15-26. 10.2307/25741921.

GRENOUILLEAU, 2019. Nos petites patries. Identités régionales et État central, en France, des origines à nos jours. Gallimard.

GRIN, François et VAILLANCOURT François. La langue comme capital humain. Policy Options (1997)

KNOERR, Hélène, 2005. TIC et motivation en apprentissage/enseignement des langues. Une perspective canadienne p. 53-73 https://doi.org/10.4000/apliut.2889

KRESS J.-J., 1984. Changement de langue et traumatisme psychique. Colloque internationa « Le traumatisme psychique ». Strasbourg 15-16 octobre 1982 in Psychologie médicale, 1984.

KRESS J.-J., 1986. Incidences subjectives des changements de langue régionale. CARRER P., DAUMER Y., DENEZ P., KRESS J., ÉLÉGOËT F. et VIOLETTE P. (dir.), Permanence de la langue bretonne. De la linguistique à la psychanalyse, Rennes, Institut Culturel de Bretagne, 1986.

LE CLEZIO, J-M., 2020. Interview dans Ouest-France du 18 avril 2020.

LE COADIC, Ronan, 2001. Langue et modernité. Klask, Presses universitaires de Rennes, 2001, pp.45-50.

LE DÛ, Jean, LE BERRE, Yves,1999. Le qui pro quo des langues régionales : sauver la langue ou éduquer l’enfant ? Christos Clairis, Denis Costaouec, Jean-Baptiste Coyos Langues et cultures régionales de France – Etat des lieux, enseignement, politiques. L’Harmattan (logiques sociales), Paris, 1999, 71-83.

LE GARREC, Nicole et Félix, 1976. La langue bretonne. Diaporama. https://www.youtube.com/watch?v=ED7X5CEFKts

LE PIPEC, Erwan, 2013. Le breton, langue-totem ? . La Bretagne linguistique n°18, CRBC, 2013, p. 137-176.

MOSELEY, Christopher, 2010. Atlas des langues en danger dans le monde, 3ème edn. Paris, Editions UNESCO. Version en ligne : http://www.unesco.org/culture/en/endangeredlanguages/atlas

MUCCHIELLI, A., 1981. Les motivations (No. 1949). Presses universitaires de France.

PENTECOUTEAU, H., 2002. Devenir bretonnant : découvertes, apprentissages et réappropriations d’une langue. Introduction. PU Rennes.

PREMEL, Gérard, 1995. Anamnèse d’un dommage ou comment le français est venu aux Bretons, Langage & société. 72 pp. 51-95

ROHOU, Jean, 2011. Fils de ploucs. Tome II. Rennes: Éd. Ouest-France, p. 149. Cité par Fanny Chauffin (Diwan, pédagogie et créativité : approche critique des relations entre pédagogie, créativité et revitalisation de la langue bretonne dans les écoles associatives immersives Diwan – 2015)

RUYET, J.-C., 2012. Bien prononcer le breton d’aujourd’hui. Morlaix : Skol Vreizh, p. 84

WAKEFORD, Pascale et BROUDIC, Fañch, 2018. Les langues de Bretagne. Enquête sociolinguistique Sondage 2018 : les principaux résultats. Rapport d’enquête TMO Régions , 6 octobre 2018..

9 Annexe : cahier des charges pour des outils d’apprentissage individuel

Les outils apprentissage doivent posséder plusieurs caractéristiques (exemple de cahier des charges) :

  • pilotage d’une session :
    • à la voix
    • au geste sur clavier / surface
    • au geste 3D
    • multilingue
    • ordres brefs, clics, signes
    • ordres en langage courant
  • pour les sessions ou parties de sessions purement orales :
    • capacité de traduction instantanée sur demande (portée : derniers échanges)
    • capacité de changer d’accent ou de présenter successivement plusieurs accents
    • répétition d’un membre de phrase, d’un mot et épellation à la demande
  • sessions avec audio et visuel :
    • visualisations intelligentes de la parole : sous titrages variés de l’oral
      • sous-titre classique,
      • karaoké,
      • multi graphies dont peurunvan pour aide lecture
  • sessions immersives :
    • environnement 3-4D virtuel,
    • parcours,
    • scénarios,
    • jeux vidéos
  • contenus :
    • sessions types :
      • répétition
      • lecture
      • collecte et annonciation (textes, sons, vidéos)
  • autres caractéristiques :
    • re-jouabilité
    • changement de niveau

1Note importante : en nous plaçant du point de vue d’un Breton, nous parlerons de « sa » langue, c’est à dire de sa langue historique, breton ou gallo selon – schématiquement – qu’il est originaire de Basse ou Haute-Bretagne.  Nous ne distinguerons pas l’une et l’autre de ces deux langues et les décrirons en général en employant le singulier.

2https://brezhoneg.gwalarn.bzh/yezh/kinnig.html

3La moitié de la population de Basse-Bretagne ne connaissant alors que le breton et l’autre moitié étant bilingue breton-français

4Voir la note n°1

5Comme cette mère, qui demande à son enfant (adulte) militant pour la langue, de ne pas « venir nous faire honte »

6Expérience personnelle de l’auteur.

7Déclarations publiques de certains groupes aux extrémités de l’échiquier politique (La France Insoumise, Rassemblement National)

8Reportage de la rédaction de France Culture : « Noms de lieux en Bretagne : Aujourd’hui, le jacobinisme est une idée de ploucs ! » ( https://www.franceculture.fr/emissions/le-reportage-de-la-redaction/bretagne-aujourdhui-le-jacobinisme-est-une-idee-de-ploucs)

9Difficultés rencontrées aussi bien dans les parlers bretons et dans les parlers gallèsants

10op. cit.

11 Il existe un article de Wikipédia intitulé « Controverses sur le breton »,

12Direction de l’éducation, des langues de Bretagne et du sport de la Région Bretagne. Session du Conseil régional – Décembre 2018 – Grandes orientations de la nouvelle politique en faveur des langues de Bretagne

13DivYezh, DiHun et Diwan

14Situation sociolinguistique – L’évolution du nombre de locuteurs in http://www.fr.brezhoneg.bzh/6-situation-sociolinguistique.htm#par882

15A cet égard, il faut rendre hommage à tous les « quêteurs de mémoire » et leurs approches minutieuses et respectueuses de nos aînés .

16Direction de l’éducation, des langues de Bretagne et du sport Session du Conseil régional Décembre 2018 – Grandes orientations de la nouvelle politique en faveur des langues de Bretagne (la mise en exergue est de moi-même)

17Le regard de l’Autre…

18Colloque des 19 et 20 février 2015 Délégation Île-de-France Ouest et Nord du CNRS Espace Isadora Duncan, Meudon

19qui eux-mêmes découlent des décennies d’opprobre sur la langue, cf. supra

20qui lui n’a, en général, pas son mot à dire dans ce processus

21Formations dites « intensives » de 6 à 9 mois, cadrées sur une année scolaire et la semaine de travail (35 heures) (Stumdi, Roudour…)

22SKOL OBER (depuis 1932), SKOL AN EMSAV.

23EDUBREIZH, le breton via le net.

24il suffit pour s’en convaincre de demander au traducteur automatique « officiel » breton-français – le « troer emgefre » – de l’OPLB, de traduire le texte « skrivañ a ran d’am zad »

25au moyen d’un banal téléphone mobile : application Google Translate

26Se reporter à l’interview de J. Toubon en juillet 2019 par Michel Feltin-Palas (Le Point) à propos de la loi « relative à l’emploi de la langue française »)

27Bien plus élevé qu’actuellement

28« la marque » dans le texte d’origine.

29Technologies de l’Information et de la Communication

30We’re all falling for Alexa, unless we’re falling for Google Assistant, or Siri, or some other genie in a smart speaker. When I say “smart,” I mean the speakers possess artificial intelligence, can conduct basic conversations, and are hooked up to the internet, which allows them to look stuff up and do things for you. The Atlantic, Judy Shulevitz in https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2018/11/alexa-how-will-you-change-us/570844/

31https://languesdebretagne.bzh

32La notion de mission n’est pas nouvelle en Bretagne, mais fait en général référence à une volonté d’évangélisation des populations. Le nom de Julien Maunoir, l’« apôtre de la Bretagne » est associé à ces missions. Celui-ci voulait répandre l’Évangile dans la langue comprise du peuple et la légende dit que la langue bretonne lui fut révélée en une nuit… Nous parlons encore de mission et de langue, mais ce n’est plus l’évangile qu’il s’agit de faire apprendre, mais la langue elle-même.

33Comme Siri, Alexa, Google Home, Cortana, Bixby… Visionner par exemple : https://youtu.be/nCBsARRs4HI

34Voir par exemple Busuu, Duolingo, Memrise ou Babbel…

35Speech corpus, cf. https://en.wikipedia.org/wiki/Speech_corpus : base de données de fichiers audio de parole et de transcriptions de texte.

36Ce qui suppose, comme dans tout processus démocratique de sélection de compétences, l’affichage du cahier des charges et la transparence sur les financements